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Face à une multiplication des épisodes météorologiques extrêmes, Laurent Born, maraîcher en Wallonie a fait le pari de l'expérimentation.
Maïli Bernaerts
- Publié le 24-08-2024 à 20h21
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À cinq minutes de voiture de la route Del Baraque Boulet, ça ne s'invente pas, se dresse le Jardin d'Antan, la ferme de Laurent Born, maraîcher de son état. L'appellation de la rue voisine ne permet aucun doute, nous sommes bien en province de Liège, même si les pastèques, melons et figues qui s'épanouissent sur les terres du maraîcher, aux côtés des pommiers et des pruniers évoquent davantage le sud de la France ou l'Italie que la Wallonie. Laurent Born n'en est pas peu fier, ses cultures originales ont fait de lui un pionnier dans la région.
Des pastèques made in Belgium en réponse au réchauffement climatique
"Je ne suis pas du genre à me vanter et je ne suis pas chauvin mais oui, je pense être le premier pour les melons et les pastèques. Le marchand de graines était surpris quand je lui ai demandé des graines vers la Belgique. Je suis aussi probablement l'un des premiers, si pas le premier, à avoir commencé à planter des tomates en pleine terre et depuis que des articles sont sortis dans la presse, cela a donné des idées à d'autres producteurs", explique-t-il.
Des plantations exotiques qu'il a lancées il y a plusieurs années par goût de l'expérimentation ; "je fais du maraîchage depuis mes douze ans et j'ai toujours aimé faire des expériences juste pour le fun" ; mais aussi et surtout pour répondre aux variations météorologiques causées par le dérèglement climatique. Et il semblerait que cela fonctionne plutôt bien. En cette fin août, l'une de ses variétés de pastèques qui affichent une écorce jaune et une chair rose, est déjà pratiquement prête à être cueillie, tandis que ses pastèques vertes doivent encore patienter.
À lire aussiLe printemps est en avance et chamboule la nature : "Les bouleversements météo sont un vrai problème""Moi je n'aime pas trop les pastèques, parce qu'il y a un goût que je trouve un peu écœurant. Les pastèques jaunes, elles ont le sucre, elles ont le jus, mais elles n'ont pas ce goût écœurant qu'ont les concombres et les melons", explique-t-il, en découpant en deux une pastèque de la taille d'une balle de handball, laissant apparaître la chair rosée du fruit. "Quand on toque au cul de la pastèque et qu'elle fait un bruit sourd, ça veut dire qu'elle n'est pas encore mûre, sinon on peut y aller !"
Signe du changement climatique, les cultures de melons et de pastèques qu'il a lancées en serre il y a plusieurs années s'épanouissent désormais en pleine terre. Enfin, sauf quand des pluies exceptionnellement abondantes s'abattent sur les champs plusieurs mois de suite, comme ce fut le cas cette année.
Plantes vikings
"Avec la météo exécrable de cette année, il a fallu regarder, jauger l'arrosage différemment et beaucoup s'inquiéter pour les maladies. Certaines cultures ont bien réagi, les pastèques ont un beau taux de sucre. Après, pour les melons en plein champ, il y a une ligne avec des beaux gros melons et trois lignes avec des petits bazars comme ça", déplore notre interlocuteur.
"Le problème avec le dérèglement climatique, c'est qu'on ne sait jamais ce qui va nous tomber dessus. Si on sait qu'il va pleuvoir des grosses quantités chaque année et qu'on aura des problèmes d'érosion, on peut s'adapter en optant pour telle ou telle culture. Mais ici, on sort de plusieurs années de sécheresse et cette année, on a eu la météo inverse : de la pluie en permanence et pas assez d'insolation. Regardez, on est au mois d'août et la boue de cet automne n'a toujours pas eu le temps de sécher. Ce qu'il nous faut, ce sont des variétés de plus en plus pointues, résistantes aussi bien au chaud qu'au froid. Des plantes vikings en somme."
À lire aussiDes semaines de pluie minent les champs et menacent les rendements des agriculteursCar en cas de pluies extrêmes, les cultures en tunnel ne sont pas beaucoup plus épargnées que les cultures en pleine terre. "Même dans les tunnels, on a eu des problèmes d'inondation. L'eau envahit tout, gorge les sols et il n'y a rien qui va. Alors parler des melons pour faire face au réchauffement climatique, pourquoi pas. Mais cette année, ce n'est pas le meilleur exemple. Il n'y a pas beaucoup de secteurs qui ont bien marché. Regardez les vignes, c'est la catastrophe !"
Interrupteur jour/nuit
Malgré un tempérament optimiste et aventureux, Laurent Born perd parfois courage face à des conditions de travail de plus en plus difficiles. "Il y a des jours où je me demande si je dois vraiment encourager mes enfants à faire ce que je fais. Parfois je me dis que je ferais mieux de foutre le camp tant qu'il est encore temps. Il y a encore des fous qui mettent des prix de malade pour avoir des terres agricoles. Moi j'ai cinquante ans et je pourrais presque vivre une retraite heureuse si je faisais cela", déplore le maraîcher.
D'autant plus que les attentes des consommateurs ne lui facilitent pas toujours la tâche.
"J'ai quand même envie de colporter un message positif, mais il y a des jours où je doute. Le changement climatique, ce n'est pas que sur l'agricole qu'il se fait sentir. La façon de manger des gens, c'est quand même très tracassant : quand il fait froid, les gens n'ont pas envie de manger des concombres et des tomates. On nous a demandé des plateaux raclette au mois de juillet. Et vous, vous arrivez avec vos melons, vos tomates et vos concombres et les gens n'en veulent pas. Ou bien quand il y a des orages pendant deux jours, on ne voit personne à la ferme et on ne vend rien du tout. C'est tout un modèle qui vacille, une fois à gauche, une fois à droite. Mais on n'est pas comme dans les Visiteurs (film de Jean-Marie Poiré NdlR) avec un interrupteur jour/nuit, capable de passer de l'un à l'autre en une seconde."
Ce casse-tête des cultivateurs, Olivier Warnier, directeur du Centre fruitier wallon en est bien conscient. "L'hiver est de plus en plus doux et les floraisons de plus en plus précoces. Or un jeune fruit est très sensible aux gelées printanières. Ces dernières années, on a toujours des gelées printanières mais comme les floraisons sont de plus en plus précoces, les fleurs ou les fruits sont gelés. Il y a 10-15 ans, les gelées avaient lieu alors que les fruits en étaient au stade de bouton fermé et donc beaucoup plus résistants au gel", expose-t-il.
À lire aussiDans le futur, les étés belges vont devenir beaucoup plus contrastés mais les gelées tardives seront toujours possibles, explique ce climatologueA contrario, les températures élevées ne sont pas forcément plus souhaitables. "Lorsqu'il fait chaud, on voit apparaître des plages brunes sur les fruits les plus exposés. Quand il fait plus de 32 ou 33 °C, les feuilles de poires conférence grillent parce que l'arbre n'arrive pas à pomper suffisamment d'eau pour refroidir le végétal, or ce sont les feuilles qui produisent la nourriture qui permet de faire grossir le fruit. Et l'inverse n'est pas mieux : quand il y a trop d'eau, les dégâts peuvent aller jusqu'à la mortalité d'arbres."
Pas plus que les chutes de grêle, qui semblent se multiplier. "Sur les tout jeunes fruits, la grêle provoque des impacts. On a donc des fruits qui ne sont pas impeccablement ronds. Leur goût n'est pas altéré mais ils sont déclassés parce qu'ils ne sont pas parfaits. C'est un problème qu'on rencontre de plus en plus souvent et cela, c'est à cause des évolutions climatiques.", poursuit Olivier Warnier.
Quand on plante un arbre, c'est pour vingt ans
Faut-il dès lors renoncer aux cultures d'arbres fruitiers, moins souples et réactives pour favoriser les cultures annuelles ? "Non", estime Olivier Warnier. "Lorsqu'on plante un arbre, c'est pour quinze ou vingt ans. Le tout est de savoir à quoi s'attendre pour les prochaines années, avec des risques de variations très importantes au niveau de la floraison et de la pluviométrie. C'est très compliqué, on ne change pas les arbres d'une année à l'autre. Mais on ne peut pas non plus dire que les cultures annuelles (comme les melons ou les pastèques, NdlR) sont la solution. Le meilleur exemple, c'est la vigne. Maintenant il y a plus d'hectares de vignes en Wallonie que de pruniers, parce que le secteur a estimé que c'était porteur avec le réchauffement climatique. Mais cette année, la récolte de raisins est excessivement mauvaise. On a cru que cela fonctionnerait et on a planté directement de grandes quantités de vignes mais chaque année étant différente, on n'obtiendra pas de bonnes récoltes chaque année."
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